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Il y a quelques semaines, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a dévoilé sept orientations qui guideront la réforme de l’enseignement du français, dont la mise à jour des mots de vocabulaire que les élèves du primaire seront tenus d’apprendre ainsi qu’une réflexion quant à l’introduction de l’orthographe rectifiée. Lorsqu’il est question de l’enseignement de notre langue, le débat tourne souvent au pugilat. Or, tout francophone prônant un raccourci dans l’apprentissage de la langue de Molière ne peut prétendre être un réel francophile, car c’est précisément dans la complexité de notre langue que réside sa beauté.
Apprécions la richesse linguistique de notre langue
Nul ne peut nier que notre langue est complexe. Pétrie d’irrégularités, de contradictions, d’exceptions aux exceptions, elle peut en rebuter plus d’un. Surtout, le français se distingue comme une langue graphique plutôt que phonétique, au sens où l’orthographe ne suit pas toujours la prononciation. Le débat ne date pas d’hier avec, d’un côté, les orthodoxes de notre langue, qui tiennent mordicus à la rigidité du système linguistique, et de l’autre, des laxistes, qui prônent des réformes simplificatrices.
Si les orthographes lexicales et grammaticales comportent des aberrations, il n’en demeure pas moins qu’elles s’inscrivent dans une évolution progressive de la langue. Dans les Essais de Montaigne datant de 1580, on retrouve des graphies qui peuvent nous paraître étranges aujourd’hui telles que « icy » (ici), « foy » (foi), « moy » (moi) , ou encore « estude » (étude). Ce n’est pas tout. Prenons également le mot fenêtre qui en ancien français s’écrivait « fenestre » et dérivé du latin « fenestra ». De même que le mot hôpital, dont la graphie d’autrefois — « hospital » — émanait elle aussi du latin « hospitalia ». Ce « s » a donc disparu en 1740 sous la réforme de l’orthographe de l’Académie française, remplacé par un accent circonflexe. Ce signe diacritique ne remplit aucune fonction phonétique, mais permet, entre autres, de distinguer des homophones (ex : mûr et mur) et de conserver une trace écrite de ce « s » muet de jadis.
C’est en s’intéressant aux mutations de notre langue que l’on appréciera ses subtilités. Mais c’est également en portant attention à une certaine logique étymologique qui nous permet de distinguer par exemple l’« aire » du latin « area » et renvoyant à une surface de l’« air » venant du latin « aer ». Plutôt que de céder à la simplification à outrance de notre langue, pourquoi ne pas envisager l’introduction de cours de latin dans nos programmes d’enseignement du français ?
Par ailleurs, il semblerait que le participe passé donnerait du fil à retordre à plusieurs élèves, notamment celui avec l’auxiliaire avoir (PPA). Mais soyons sérieux. En quoi est-il difficile de se poser la question « Qui ? » ou « Quoi ? » après le verbe pour l’accorder au complément d’objet direct placé avant ? Aux chantres de la suppression de ce participe passé, comment donc éviter une confusion comme celle-ci : la mort de cet homme que j’ai tant désiré(e) ? Selon une étude menée par Leroy et Leroy (1995) intitulée « La fréquence d’emploi des règles du participe passé », citée par le didacticien Mario Désilets dans l’essai Le participe passé : hier, aujourd’hui et demain, les PPA ne représentent que 1,5 % des occurrences.
Au-delà d’un outil de communication
Loin d’être uniquement un outil de communication, la langue se révèle être un outil de pensée. Dans notre ère marquée par l’injonction d’immédiateté, prendre son temps est devenu synonyme de perdre son temps. Certains soutiennent que l’apprentissage du vocabulaire serait une perte de temps.
Or, cultiver un vocabulaire riche, c’est cultiver une pensée riche. Une pensée structurée, affûtée. C’est enrichir sa vision du monde. Comment prétendre posséder une culture littéraire véritable sans avoir savouré, voire digéré, la diversité de notre lexique ? Explorer de nouveaux mots, c’est prendre rendez-vous avec soi pour mieux se connaître.
L’efficacité à tout prix au détriment d’un effort intellectuel ne mène pas vers une compréhension, voire appréciation de notre langue. Le prestige culturel d’une langue passe par ses nuances et ses subtilités. La dénaturer, c’est trahir sa singularité.
Tribune publiée dans Le Devoir le 22 juillet 2024