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(Crédits : GONZALO FUENTES)
Il suffit qu’une brindille s’enflamme pour incendier les quatre coins du pays. Cette brindille en question, c’est celle de la mort du jeune Nahel, le 27 juin dernier, abattu par un policier pour refus d’obtempérer. Un acte, disons-le franchement, qui ne devrait pas être passible de la peine capitale. Alors que ces épisodes émeutiers se sont essoufflés ces derniers jours, une question se pose : quel sens donner à cette colère débordante émanant des «jeunes de la cité» ?
Comprendre le ressort de ce déchaînement de violence qui a déferlé à travers toute la France requiert plusieurs paires de lunettes mobilisant différentes disciplines des sciences sociales, notamment la science politique, la sociologie, la criminologie et la psychologie. Comme dans tout épisode émeutier, le cocktail des causes est multifactoriel. Elles sont à la fois lointaines et immédiates, revêtant des dimensions culturelles, sociales, économiques, politiques et historiques. Une explication simpliste serait de se réfugier dans un étau idéologique restreint. Ces émeutes font indéniablement l’objet d’un conflit d’interprétations politiques. Tandis que certains y voient les balbutiements d’une guerre civile aux teintes identitaires, d’autres y perçoivent l’expression de discriminations sociales et une révolte contre les bavures policières. La gauche condamne les inégalités sociales, les ghettos urbaine tandis que la droite condamne l'«ensauvagement» de la société ainsi qu’une politique d’immigration massive défaillante. La gauche compatit, la droite durcit.
Une rhétorique de la conflictualité peu convaincante
Face à ces images de pillages qui se sont répandues dans les médias, mes premières réactions étaient empreintes d'indignation. Un défouloir de déprédations d’une stérilité absolue, me disais-je. Je me demandais quel message tentait-on véritablement de faire passer en saccageant de manière absurde des écoles, des commerces locaux, des pharmacies, des médiathèques, et j'en passe. Il est indéniable qu'il y a une quête de gratification immédiate alimentée par les réseaux sociaux et l'effet de groupe. Ce sont des hyperdestructeurs décomplexés qui ne semblent pas motivés par le désir d'être entendus par la société, mais plutôt par une soif insatiable de pillage. Leur colère ne semble pas être revendicatrice de la mémoire du jeune Nahel. J'y voyais plutôt une opportunité de délinquance.
Selon Charles Tilly, sociologue, politologue et historien américain, les émeutes constituent des «répertoires d'action collective», des moyens d’action à la disposition des groupes contestataires qui émergent en réponse à des conditions sociales, économiques ou politiques perçues comme oppressives ou injustes. Dérivé d’«esmeu», forme archaïque du verbe «émouvoir», le mot «émeute» désigne un soulèvement populaire spontané et non structuré. Ainsi, ces turbulences mobilisent ardemment le registre du pathos, appelant à susciter des émotions, cherchant à émouvoir les esprits.
L’enjeu avec ces scènes de pillages qui ont tétanisé la société française tout entière est qu'elles peinent à éveiller la moindre compassion, du fait de leur nature violente. D’ailleurs, on observe que ces émeutes n’ont pas engendré un vaste mouvement de protestation. Parmi ces émeutiers, aucun interlocuteur véritable n'émerge, et les revendications se retrouvent dénuées de clarté et de formulation précise.
La violence, comme langage politique ?
Dans les sociétés démocratiques libérales, le recours à la violence est souvent perçu comme une forme de déviance. En effet, selon la vision wébérienne, seul l'État détient le monopole de la violence légitime à l’intérieur d’un territoire déterminé. Néanmoins, il est essentiel de reconnaître que les banlieues défavorisées de la France portent des griefs légitimes. Ces quartiers marginalisés sont souvent confrontés à des problèmes sociaux et économiques persistants tels que la discrimination, le chômage, la pauvreté et la stigmatisation. Dans ce contexte, la violence peut être perçue comme un langage politique, une expression désespérée de l'oppression et du désespoir face à l'absence de toute perspective d’ascension sociale. C’est que ces jeunes se trouvent confinés dans un univers cloisonné, où le fléau du trafic de drogue sévit, où les pauvres et les immigrés sont contraints de cohabiter, et où la mixité sociale est cruellement absente. Dans un tel environnement, la culture de la délinquance germe aisément.
Ces émeutes se révèlent être un symptôme criant d'une cohésion sociale fragile, plongée dans un état de moisissure. Cette moisissure est alimentée par le rejet de la nuance dans le débat public, contribuant ainsi à la décomposition de la société. Cependant, la nuance ne doit pas être perçue comme un prétexte à l’immobilisme politique, mais plutôt comme une approche de réflexion approfondie permettant de restaurer l'ordre social et de remédier aux maux persistants.